M. Fogiel : les conditions imposées à la mère porteuse, qui réalisent une véritable exploitation de ces femmes, cadreraient peut-être mal avec sa démonstration
don de gestation est un des actes les plus valorisants qui soient. Les femmes porteuses américaines ont souvent quelque chose qui s’apparente à une vocation » (p 29); et cet argument est répété à longueur de livre. M. Fogiel nousa expliqué le choix de la donneuse d’ovule par ses qualités intellectuelles et physiques; il a été près à payer près de 10000 dollars pour utiliser les gamètes de cette femme, qui sont recueillis après une stimulation d’ovulation; certes, ce n’est pas un protocole plaisant mais ça ne dure pas 9 mois. Mais voilà, cette femme est choisie parce qu’elle est «intelligente», et n’est
probablement pas de milieu populaire donc il est normal qu’on la rémunère bien. La mère porteuse, à laquelle on dénie même le terme de mère appartient au milieu populaire et celle choisie pour la GPA de M. Fogiel ne déroge pas à cette règle. C’est une femme de 28 ans, qui n’a pas d’activité professionnelle, pas de sécurité sociale, et qui vient d’avoir un deuxième enfant qu’elle allaite encore quand elle rencontre M. Fogiel. Comme il le précise, « sur bon nombre de sujets, nous sommes très différents, sa culture, son mode de vie», témoignant ainsi, de façon soft, de l’origine populaire de cette femme… « Aussi incroyable que cela puisse paraître, même pour moi à l’époque, le but de Michelle était uniquement d’aider les autres familles. La question de l’argent n’en était pas taboue pour autant : le fait qu’un dédommagement soit envisagé n’entrait pas en contradiction avec le désintéressement de sa démarche». Puisque pour tout ce qu’elle accepte de vivre, «elle aura un dédommagement qui paraît dérisoire : 20000 dollars». Je suis bien d’accord
avec vous : c’est un dédommagement dérisoire, dont vous dites qu’elle l’accepte dans le but d’aider une famille. Vous êtes conscient que cette somme est dérisoire par rapport à ce que cette femme accepte de faire pour vous, et dérisoire par rapport à la somme totale que vous payez mais dont elle ne bénéficiera pas alors que c’est grâce à elle que tout ce montage est possible. Mais vous ne lui proposez pas plus d’argent : serait-ce parce que le fait d’accepter d’être sous-payée est le témoin de son altruisme? ; en somme,
vous surexploitez sa générosité. Vous surexploitez surtout son origine populaire : vous n’avez pas sous-payé la donneuse d’ovule et vous l’avez choisie chère pour avoir un ovule à la hauteur de vos espérances, mais une femme qui se contente de porter un enfant, tâche non noble puisque, peut– on penser, elle ne participera pas au patrimoine biologique, on peut la sous- payer, ce d’autant qu’elle l’acceptera. Quand on est si contente de le faire, quand c’est « une vocation », comme vous le dites, il semble normal qu’on ne soit pas payée à la valeur du service rendu. Effectivement une belle leçon
d’éthique que vous nous donnez là, en vous autorisant à surexploiter des personnes qui font état de leur générosité. Et vous ajoutez que cette rémunération est si faible qu’elle ne change pas la vie de ces femmes, témoignant ainsi encore de leur altruisme et de leur vocation. Mais cette rémunération, toute faible qu’elle soit, constitue une somme très importante, qui peut paraître une aubaine dans une période de précarité financière, comme en connaissent nombreuses personnes de milieu populaire, en particulier aux USA aujourd’hui. Vous insistez sur la faiblesse de cette somme; pour vous, c’est certainement très peu et nous comprenons que vous ne seriez pas enceinte dans ces conditions financières si vous étiez une femme. (Mais, même dans d’autres conditions, seriez-vous mère porteuse?) Pour une personne de milieu populaire, et même une personne de petite classe moyenne, c’est une somme importante. Elle peut permettre par exemple de s’acheter une voiture neuve, si indispensable aux USA, ou une caravane dans
lesquelles bien des gens vivent dans ce pays, elle peut permettre de payer deux ans d’étude aux enfants, elle peut aussi permettre de vivre sans travailler pendant plus d’un an… Les contrats de GPA font état de la motivation des femmes; donc les femmes sont motivées. Vous êtes son employeur potentiel, elle vous dit ce qu’elle pense que vous avez envie d’entendre…
Comme l’écrit M.Sandel, qui est professeur d’économie et de philosophie politique à Harvard, «dans quelles conditions les relations marchandes reflètent-elles une liberté de choix et dans quelles conditions exercent-elles une sorte de coercition ? !» (M. Sandel, Ce que l’argent ne saurait acheter)
Par ailleurs, il faut aussi tenir compte des éléments psychologiques qui aliènent ces femmes dans ces conditions: cette rhétorique de l’altruisme, du don d’un enfant à une famille malheureuse, du désintéressement, que vous exploitez, et dont vous nous
abreuvez sans jamais réfléchir à quel peut-être son contenu réel, elles en ont aussi besoin pour se regarder dans la glace, voire s’idéaliser en jouant un rôle qui leur permet une légitimation sociale. Parce qu’accepter une grossesse et donner un enfant pour de l’argent ne serait pas acceptable ni à leurs yeux, ni à celui de leur entourage. Le milieu populaire a souvent une morale plus grande que d’autres classes de notre société, notamment par rapport à la procréation, et pour de nombreuses femmes, accepter de donner un enfant contre de l’argent peut être stigmatisant. Si le besoin d’idéaliser une image est encore plus fort chez des personnes socialement démunies, elle est aussi
très forte chez tout un chacun : par exemple chez vous, qui avez tant besoin de nous démontrer que vous êtes un père parfait dans ces pages. Je vous crois sur parole, bien que je me méfie des parents parfaits; ce comportement est-il le plus adéquat pour l’éducation d’un enfant? Ce que je sais, c’est que le désir et l’amour n’y suffisent pas; Winnicott parlait de « mère suffisamment bonne »pour faire au mieux avec un enfant; il ne parlait pas d’une mère qui se veut parfaite. Est-ce que ce qu’il disait des mères s’applique aux pères maternants?
Avez-vous pensé à ce que deviendrait cette pratique de GPA si généreuse si les femmes n’étaient plus du tout rémunérées ? Vous évoquezl a GPA altruiste du Canada, mais vous savez bien que «les dédommagements informels et officieux» constituent bien une marchandisation des femmes et de l’enfant comme partout ailleurs. Si la GPA n’était plus du tout rémunérée, il resterait encore quelques femmes prises dans des problématiques névrotiques spécifiques de réparation de stérilité familiales, et quelques autres dont la
grossesse est vécue comme un moment nirvanesque mais dont les suites de grossesse sont souvent marquées d’une dépression majeure. Autant dire que les GPA non rémunérées seraient rarissimes. Et, vous le savez comme moi, dans les lieux où une GPA dite éthique semble fonctionner sans rémunération, des dessous de table qui prennent diverses formes existent.
Merci Madame pour ce témoignage émouvant, cette analyse éclairante, ce rappel à la sagesse et à l’humilité.
Si le 20ième siècle a vu le racisme nous faire la guerre c’est qu’on ne l’avait pas reconnu à temps comme une idéologie (=folie collective).
Le 21° débute avec bien d’autres candidats semeurs de malheur. A nous de montrer que ce sont idéologie et folie.
Merci Madame pour cette analyse très fouillée. Il faudrait demander à Monsieur Fogiel s’il souhaite que ses filles, quand elles auront l’âge, deviennent des mères porteuses.
Magnifique réponse à Monsieur Fogiel. Mais comment a-t-il pu prendre connaissance de vos propos ? Et vous aurait-il répondu…? Au final, merci Madame Athéa.
Merci pour vos remarques si pertinentes sur tous les aspects d’une telle aventure. Où est l’humain dans tout cela ? L’auteur se pare de beaux sentiments, mais vous savez en montrer la face cachée. Merci de contribuer ainsi à faire réfléchir ceux qui seraient tentés, devant leur écran, de s’attendrir devant un père si parfait…
Merci pour cette lettre…j’ajouterai brièvement la brutalité de la séparation…en 30 ans de médecine générale j’ai pu observer, j’ai failli dire mesurer, la lenteur et la progressivité de la séparation entre la mère et l’enfant avec ses récompenses en terme d’autonomie et de développement , mais aussi ses aléas et ses désordres. A l’inverse j’ai vu le désarroi des mères séparées de leur bébé à la naissance pour des raisons médicales variées et j’ai entendu les conseils des pédiatres et psychiatres exerçant en neonatalogie pour préserver le nouveau né privé brutalement et temporairement de la dyade mère enfant… je m’interroge sur la brutalité de cette mise au monde…